Ma démarche d’artiste plasticienne textile

Partager mes émotions et mes sensations en agençant une multitude de matières textiles mises au rebut : telle est mon alchimie. Je crée des assemblages muraux de taille XXL pour les donner à voir dans des lieux accessibles à tous les publics.

 

Illustrer les désordres causés à notre environnement

Certes, notre planète est superbe dans sa diversité. De l’espace, la contempler est un enchantement. Mais les atteintes que nous lui portons s’amplifient : course aux profits et à la consommation, pillage des ressources, incendies gigantesques, pollutions multiples en passe de devenir irréversibles, disparitions des espèces, dérèglement climatique…

Tous ces bouleversements entraînent des déséquilibres politiques et sociaux : solitude, individus désorientés, addictions, violences, réductions des libertés individuelles et collectives, dictatures, terrorisme, etc.

Jadis, mes aïeules manipulaient les étoffes avec un objectif utilitaire : laver, repasser, coudre, repriser, tricoter, crocheter. Et quand elles s’attelaient à un ouvrage de dames, elles suivaient des trames bien définies illustrant des sujets convenus : oiseaux, fleurs, moulins, princesses… Elles étaient exécutantes de consignes édictées.

Aujourd’hui je prends la liberté d’utiliser les textiles pour dénoncer : solitudes glaçantes, apocalypses urbaines, virus émergents, faune et flore perturbées. Bref, tous les abus qui découlent de la folie ou de l’inconscience du genre humain. Car il y a URGENCE ! En 2002 déjà Jean-Paul Deléage, historien des sciences et de l’environnement écrivait : Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. Tout était dit.

ma démarche
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Collecter des textiles inspirants pour les réhabiliter

A l’origine : ma grand-mère Camille confectionne édredons, couvre-pieds et courtepointes. Elle utilise le taffetas, le satin, le velours, la passementerie. Elle conserve toutes les chutes et les échantillons de ces matières mordorées, irisées et chatoyantes.

Elle m’apprend à tenir une aiguille, à palper toutes ces merveilles, à les assembler. C’est pourquoi mes premières réalisations (dès 1974) sont composées de grandes bandes moirées extraites du trésor qu’elle m’a légué : ce sont mes tissus affectifs. Dans l’onglet Galerie, ouvrez « Tout peut s’effondrer ».

Mais bientôt le stock s’épuise. Je découvre d’autres richesses dans les braderies du Secours Populaire, d’Emmaüs, dans les recycleries associatives. Leurs entrepôts regorgent des rebuts de nos armoires et ces  amoncellements me  donnent à réfléchir. J’apprends qu’un tiers des vêtements achetés neufs…ne sont jamais portés ! Et que l’industrie textile est la seconde cause de pollution au monde.

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Courir les grèves, glaner les déchets

Plongeuse et voileuse en Bretagne, je constate que depuis quelques décennies l’océan devient la poubelle ultime des humains. Aux fragments de cordages, de filets et de plastiques divers viennent s’ajouter des lambeaux d’improbables tissus délavés et déchiquetés au fil du temps par le jeu des galets roulés dans les courants marins.

J’en récolte en haut de l’estran et dans les bacs à marée mis à disposition des promeneurs par certaines communes du littoral. Je suis en même temps fascinée et indignée. Car de nouveaux continents naissent, constitués de déchets accumulés : pour le septième, on parle d’une superficie évaluée à celle de trois fois la France sur une profondeur d’environ 23 mètres. La faune marine est impactée. Je me surprends à diminuer ma consommation de coquillages et de poissons.

De retour dans mon atelier je lave, je sèche, je classe.

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Réhabiliter les fibres végétales traditionnelles : lin, chanvre, etc.

Lin et chanvre étaient cultivés autrefois en Bretagne, puis transformés en toiles aux multiples usages. Les marchands les exportaient dans le monde entier. Mais peu à peu ces pratiques tombèrent en désuétude.

Aujourd’hui plusieurs associations agissent pour reconstituer ces filières et diffuser ces savoir-faire. Citons Lin et chanvre en Bretagne, basée à Landerneau. Sans oublier Mémoire en demeure qui anime des évènements au sud des Côtes d’Armor. Et quel plaisir d’explorer les espaces muséographiques de la Maison des Toiles, que ce soit à St Thélo ou à Uzel.

La Route du Lin serpente en Centre Bretagne. La parcourir m’a convaincue de l’intérêt de ces fibres traditionnelles. L’antiquaire Alain Le Berre m’a ensuite présenté ses découvertes dans son incroyable magasin de la plage du Ris à Douarnenez. https://anticleberre.fr

J’ai commencé à les insérer dans mes assemblages dès 2020. Dans Océan plastiqué, quatuor, le lin est présent sous différentes formes dans les quatre panneaux. Ils sont eux-mêmes positionnés sur un fond de chanvre tissé au XIXe siècle.

Accepter les dons, effectuer des sauvetages

Il nous arrive de ranger nos greniers, penderies et armoires. Mais doit-on vraiment jeter les chemises en chanvre de l’oncle, la vareuse du grand-père matelot, la robe de mariée en satin broché, les draps de lin brodés, la courtepointe au savant matelassage ?

J’ouvre ma porte pour recueillir avec émotion ces pièces au bord du déclin. C’est souvent pour entendre : Ce sera mieux chez vous, merci d’utiliser tout ça, on avait trop mal au cœur de les mettre à la poubelle.

Et puis il y a les canevas anciens et les broderies, parfois entassés dans des bennes à ordures. Leurs contenus sont destinés à être transformés en matériaux d’isolation pour le bâtiment. J’en sauve certains en leur offrant une seconde vie dans mes assemblages. Regardez : en haut de L’océan plastiqué, quatuor, l’ange au point lancé qui somnole sur son arc… Pour le réaliser, la brodeuse a consacré environ une centaine d’heures à son ouvrage. Respect…

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Agencer en faisant confiance à mon instinct

Une intuition, une émotion, une indignation émergent de mon inconscient, de mon vécu ou de l’actualité. Je sens que le moment est venu de créer. Inutile de faire un croquis préalable, j’ai appris à faire confiance à mes mains et mes yeux pour matérialiser ce qui s’apparente à des fulgurances.

D’abord un fond de feutre de lin qui servira de trame : je la déploie sur ma grande table de métier. Une enfance plutôt confinée entre les murs gris d’une ville austère et une atmosphère familiale étouffante m’ont donné le goût des grandes dimensions.

Viennent ensuite les choix. Où trouver la meilleure texture pour illustrer les effondrements, les apocalypses ? Vite, fouiller dans les réserves des tissus sombres, inquiétants, métalliques parfois. Et pour évoquer l’espoir ? C’est dans le coffre où s’entassent les couleurs vives capables de capter la lumière que je vais trouver matière.

Et maintenant, rapprocher, assembler, rogner, épingler, bien à plat d’abord. Etape jouissive, ludique, enivrante presque. Je me sens heureuse de n’avoir été ni formatée, ni inféodée à une tendance quelconque.

De ce foisonnement d’étoffes naîtra en 2021 l’assemblage Confinement 3, migrer à deux

Prendre du recul, évaluer, retoucher…puis coudre

Les matériaux sont épinglés sur la trame étendue à plat sur la table. Le moment est venu pour changer d’angle : suspendre mon assemblage à la verticale est une étape cruciale.

Reculer de quelques mètres pour évaluer d’abord si les émotions que je voulais transmettre sont bien là. Ressentir si une structure se dégage, si les harmonies entre les couleurs et les textures sont évidentes. Retirer, rajouter, décaler, affiner…

A un moment, une sorte de validation intérieure surgit : C’est bon, tu peux coudre !  Alors je m’exécute, à la main le plus souvent.